“Nommer c’est dévoiler. Dévoiler, c’est déjà agir” disait Simone de Beauvoir. Suite à ma mission d’information sur la reconnaissance des féminicides, j’ai dépose une proposition de résolution. Objectif : mieux nommer pour mieux combattre.
Cette proposition de résolution, disponible sur le site de l’Assemblée nationale, est également retranscrite intégralement ci-dessous.
Exposé des motifs
Mesdames, Messieurs,
Depuis plusieurs décennies, le législateur a décidé de renforcer en profondeur l’arsenal législatif de lutte contre les violences faites aux femmes. En sus de cette forte volonté du Parlement, les engagements gouvernementaux ont également permis de mettre en œuvre une véritable politique publique dans ce domaine, jusqu’à faire de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause nationale de l’actuel quinquennat.
La lutte contre les violences sexistes et sexuelles, qui se caractérisent notamment par leur aspect multiforme, est aujourd’hui une priorité reconnue par la société et largement prise en charge par les pouvoirs publics. De natures multiples (physiques, psychologiques, économiques, administratives, cyber‑surveillance, cyber‑harcèlement…), ces violences peuvent concerner toutes les femmes : de tout territoire, de tout milieu, de tout âge ; et ne doivent par exemple pas être oubliées les femmes séniores, les femmes en situation d’immigration ou encore les femmes en situation de handicap.
Soulignant l’urgence de la situation et son caractère prioritaire, le travail mené dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, organisé à l’automne dernier, doit aujourd’hui être poursuivi et concrétisé pour mieux lutter encore contre ces violences inacceptables et pourtant omniprésentes.
Surtout, la lutte contre ces violences doit s’accélérer.
Il faut agir rapidement pour mieux détecter, mieux dénoncer, mieux protéger, mieux sanctionner. Et il faut agir pour mieux nommer.
En France, avec une stabilité inquiétante depuis plusieurs années, une femme est tuée tous les deux à trois jours par son partenaire ou ex‑partenaire intime.
140 femmes tuées en 2009, 146 femmes tuées en 2010, 122 femmes tuées en 2011, 148 femmes tuées en 2012, 121 femmes tuées en 2013, 118 femmes tuées en 2014, 115 femmes tuées en 2015, 123 femmes tuées en 2016, 130 femmes tuées en 2017, 121 femmes tuées en 2018 ([1]). En 2019, selon le collectif « féminicides par compagnon ou ex », 149 femmes auraient été tuées par leur partenaire ou ex‑partenaire intime.
On ne peut concevoir ces crimes sans les nommer correctement : ils ne sont ni des « drames amoureux », ni des « crimes passionnels », ni des « sorties de route ».
Ils portent un nom, celui de « féminicides », comme l’a rappelé le Président de la République lors de la 74e Assemblée générale des Nations Unies en appelant la communauté internationale à renforcer sa mobilisation.
Ce terme de « féminicide », déjà intégré au vocabulaire courant, social et médiatique, permet de reconnaître le caractère singulier et systémique de ces crimes de genre en désignant le meurtre d’une femme parce qu’elle est femme. Souvent motivés par des sentiments d’objectivation, d’emprise, de jalousie et de domination, ces crimes commis par un homme sur une femme résultent ainsi d’une logique sexiste où l’agresseur finit par s’approprier sa victime au point de considérer avoir droit de vie ou de mort sur elle.
Comme le rappelait la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes des Nations Unies, « il est urgent de faire en sorte que les femmes bénéficient universellement des droits et principes consacrant l’égalité, la sécurité, la liberté, l’intégrité et la dignité de tous les êtres humains » ([2]).
Par
cette résolution la France réaffirme sa ferme volonté de lutter contre toutes
les formes de violences faites aux femmes et s’engage à développer l’emploi du
terme de « féminicide » afin de mieux nommer la réalité de ces
crimes.
Proposition de résolution
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu la résolution 48/104 du 20 décembre 1993 de l’Assemblée générale des Nations Unies concernant la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes ;
Vu le programme d’action de Pékin, adopté en septembre 1995 lors de la quatrième conférence mondiale sur les femmes ;
Vu la loi n° 2006‑399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs ;
Vu la loi n° 2010‑769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants ;
Vu la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique de 2011 ;
Vu la loi n° 2014‑873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ;
Vu la résolution du Parlement européen du 24 novembre 2016 sur l’adhésion de l’Union européenne à la convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes ;
Vu la loi n° 2018‑703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ;
Vu le Livre blanc de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur la lutte contre les violences conjugales du 6 novembre 2019 ;
Réaffirme l’importance du principe constitutionnel selon lequel la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ;
Considérant que les violences sexistes et sexuelles, majoritairement commises à l’encontre des femmes, forment un continuum inadmissible et incompatible avec les valeurs de la République ;
Considérant que ce continuum de violences sexistes et sexuelles constitue une violation des droits de la personne humaine et des libertés fondamentales ;
Rappelle que l’ampleur de ce continuum et l’aspect multiforme de ces violences se traduisent également par la réitération régulière et inacceptable de meurtres de femmes notamment dans le cadre du couple ;
Affirme le rôle fondamental de la lutte contre toutes les formes de violences sexistes et sexuelles pour faire advenir une société d’égalité, ainsi que la nécessité de lutter encore plus efficacement contre les violences commises au sein du couple ;
Considère que le terme de « féminicide » désigne les meurtres de femmes en raison de leur sexe, en particulier lorsque ceux‑ci sont commis par le partenaire intime ou ex‑partenaire intime ;
Souhaite que l’emploi du terme de « féminicide » soit encouragé en France afin de reconnaître le caractère spécifique et systémique de ces crimes et ainsi de mieux nommer ces réalités intolérables pour mieux y mettre un terme.
([1]) Chiffres issus des études nationales annuelles sur les morts violentes au sein du couple du Ministère de l’Intérieur, repris chaque année par les « Chiffres clés de l’égalité ».
([2]) Résolution 48/104 du 20 décembre 1993 de l’Assemblée générale des Nations Unies concernant la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes.