En tant que Présidente du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, je signe une tribune dans La Croix. A retrouver ci-dessous.
L’alerte du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté
Il n’a jamais été facile d’être pauvre en France. Avec la crise, c’est pire. Depuis mars, la situation sanitaire et ses conséquences économiques ont accentué les inégalités qui persistent dans notre pays. Nous faisons face à un vrai risque de décrochage social. Malgré les mesures d’urgence, malgré une protection sociale plus solide que dans de nombreux pays, la situation s’est dégradée pour ceux qui, déjà, cumulaient les difficultés. L’épidémie est particulièrement cruelle pour les plus pauvres, pour les plus exclus : les personnes sans-abri, les travailleurs pauvres, les migrants, les jeunes de l’aide sociale à l’enfance, les familles monoparentales…
Une relance pour les plus démunis
Ce n’est pas un hasard, c’est le résultat funeste d’inégalités qui persistent depuis trop longtemps : la lutte contre la pauvreté, si elle emporte toujours l’adhésion polie de chacun, n’a pas toujours réussi à mobiliser autant que nécessaire. Ce n’est cependant pas une fatalité : si la relance doit être une « chance » pour l’économie, pour reprendre les mots du ministre Bruno Le Maire, elle doit l’être aussi pour les plus démunis. Ces derniers mois ont démontré la capacité d’agir des pouvoirs publics avec le renforcement de l’aide alimentaire, de l’hébergement d’urgence, le déblocage d’aides exceptionnelles pour les jeunes et les familles précaires… Le plan de relance présenté par le gouvernement mobilisera quant à lui des crédits importants, en particulier pour les jeunes, ce que nous saluons.
Nous savons cependant qu’il sera indispensable d’aller plus loin. Ce qui était inacceptable hier ne l’est pas plus en temps de crise, et encore moins quand la pauvreté et les inégalités gagnent du terrain. Depuis le mois de mars, des millions de Français, qui ne sont pas « pauvres » au sens statistique du terme, ont découvert les privations, les difficultés matérielles, les arbitrages contraints.
Si l’évolution du taux de pauvreté en 2020 ne sera pas connue avant plusieurs mois, les premières études révèlent un décrochage social inquiétant : d’après l’Insee, durant le confinement, 30 % des ménages les plus pauvres ont vu leurs revenus baisser (10 % des plus riches) et 50 % d’entre eux ont reconnu des difficultés pour assurer le suivi scolaire (25 % chez les plus riches).
Le décrochage des classes populaires s’accélère
Dans le même temps, le taux d’épargne des ménages n’a jamais été aussi élevé, atteignant 27,4 % au 2e trimestre 2020 contre 15 % fin 2019 – une hausse et un niveau jamais égalés depuis 1949. Ces premiers chiffres, qui rejoignent l’expérience de terrain, semblent ainsi confirmer la tendance à l’œuvre depuis plus de 10 ans, avec un décrochage des classes populaires qui s’accélère.
Cette crise est, on le dit souvent, sans précédent. Elle appelle donc des réponses elles aussi sans précédent pour accompagner les plus fragiles face à la crise. Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) a mené un travail depuis le mois de juin pour dégager des propositions mobilisables à très court terme pour répondre à l’urgence. L’originalité de ce travail est d’avoir été mené aux côtés des personnes concernées par la pauvreté, qui composent la moitié du CNLE. Cette contribution directe des personnes concernées est précieuse, tant elle permet de dégager des priorités d’actions concrètes et utiles. Pour reprendre les mots de Nelson Mandela : « Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi ».
Un droit à l’accompagnement pour les jeunes
La première des priorités dégagée par ce travail collégial, qui a associé associations, partenaires sociaux, élus, personnalités universitaires et personnes concernées, est qu’il faut soutenir davantage les plus vulnérables face à la crise économique et sociale. L’augmentation immédiate des minima sociaux et des aides au logement est ainsi indispensable.
La seconde priorité est de renforcer l’accompagnement des personnes en situation de pauvreté. Le CNLE milite notamment pour la création d’un véritable droit à l’accompagnement pour tous les jeunes, sans limite de temps, assorti d’une allocation de ressources accessible dès 18 ans. Il défend par ailleurs la nécessité de renforcer l’accessibilité des services publics et l’accès aux droits, à travers la création d’une tarification sociale du numérique, la gratuité des numéros d’appels aux établissements publics, ou encore le déploiement renforcé des maisons France service.
Enfin, le Conseil rappelle la nécessité de protéger les plus vulnérable face à l’épidémie, et notamment les personnes qui sont en dehors des parcours de soins « classiques » – personnes sans-abri ou personnes migrantes par exemple, quelle que soit leur situation administrative. Ces quelques propositions ne se substituent pas à la nécessaire réflexion de fond que commande la progression des inégalités et de la pauvreté dans notre pays. Mais elles peuvent contribuer à faire de la relance un véritable élan de solidarité, ce qui nous apparaît nécessaire : il y a urgence à agir et à réaffirmer l’engagement de la Nation autour d’un modèle social solide, universel et solidaire.